Adults in the Room

Après avoir vilipendé le régime des colonels grecs dans son troisième film, Z (1969), Costa-Gavras se penche à nouveau sur le dernier désastre, cette fois socio-économique, qui frappe son pays d’origine. Adults in the Room est un réquisitoire cinglant contre l’obstination légaliste de l’Union européenne dans son refus de reconsidérer le surendettement de la Grèce. Une réussite totale, qui tient de la gageure : comment transformer en un suspense haletant une situation conflictuelle aussi complexe ? Costa-Gavras nous offre un exploit de narration cinématographique.

2008 : une crise économique frappe violemment la Grèce, qui affiche une dette de 320 milliards d’euros, accumulée pendant près de trente ans par les gouvernements successifs de la Nouvelle Démocratie (droite) et le PASOK (Mouvement socialiste panhellénique). Les élections de 2015 portent au pouvoir le parti radical de gauche Syriza et ses deux anticonformistes, le premier ministre Alexis Tsipras et son ministre des finances Yannis Varoufakis. Tous deux vont se battre contre la Commission Européenne et son auxiliaire, l’Eurogroupe, afin de trouver des compromis pour réduire la dette et surtout la politique d’austérité que Bruxelles leur a imposée. Mais c’est sans compter avec la priorité que la Commission accorde au sauvetage à tout prix des banques allemandes et françaises, très hostiles au peuple grec, qui a accordé ses suffrages à des gauchistes.

Disons-le d’emblée, ce qui impressionne le plus dans ce dix-neuvième long-métrage de Costa-Gavras, c’est la précision et la clarté avec lesquelles sont narrés les différents épisodes de cette lutte de cinq mois et douze jours, menée par le ministre des finances grec Varoufakis contre la « Troïka » (l’Eurogroupe, La Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international). Costa, après avoir accumulé, de son côté, un grand nombre de renseignements, s’est appuyé sur le récit de son expérience par l’ex-ministre des finances, qui lui faisait parvenir, chapitre après chapitre, son futur ouvrage Conversations entre adultes : dans les coulisses secrètes de l’Europe. Fort de la véracité des faits relatés, le réalisateur est ensuite parvenu à développer un récit assorti d’un discours engagé, auquel il a su apporter une dimension dramatique, proche d’un suspense à la Hitchcock. Un véritable tour de force, car, quiconque ne comprend rien à la politique économique, ne peut ici que participer passionnément à cet essai de sauvetage d’un peuple à la dérive, qui, en fait, ne se limite pas à la Grèce, mais à tout pays écrasé par les priorités financières internationales. On savait Costa-Gavras cinéaste humaniste (L’Aveu, 1970 ; État de siège, 1973 ; Section spéciale, 1975 ; Missing, 1982 ; Hanna K, 1983 ; Amen, 2001 ; Le Capital, 2012), il le demeure ici avec encore plus de conviction.

Trois autres caractéristiques positives dans ce film emportent notre adhésion. La qualité de jeu de ses interprètes, tout d’abord. Pas de stars, un seul nom connu (Ulrich Tukur : In the Fade, Fatih Akin, 2017 ; Le Ruban blanc, Michael Haneke, 2009 ; et trois films avec Costa : Amen, Le Couperet, 2004 et Éden à l’ouest, 2008), tous des acteurs de théâtre, pour la plupart grecs, car devant parler cette langue dans ce film polyglotte. Un jeu très juste, en outre porté par leurs ressemblances partielles avec leurs modèles (la seule coiffure courte et blanche de Josiane Pinson suffit pour évoquer Christine Lagarde). Chaque acteur réussit brillamment à rendre acceptables les diverses prises de position de leurs personnages, ayant tous l’air très convaincu d’avoir raison. À quoi s’ajoute l’excellence de la réalisation de Costa, entièrement au service de ses interprètes. Il les cadre tantôt de manière fixe, afin d’en faire les prisonniers de leurs propres idées, constamment rejetées par les autres, et les écrase au moyen de plongées pour accentuer l’étau (européen) qui les enserre inexorablement, tantôt les suit dans leurs multiples déplacements en quête de vaines échappatoires. Un découpage fort dynamique, superbement éclairé par le directeur de la photo d’Angelopoulos, Yorgos Arvanitis, qui correspond parfaitement aux efforts de ces combattants de la survie démocratique. Une mise en scène qui ne peut que conduire au finale chorégraphié, que je vous laisse découvrir et interpréter. Enfin, signalons la très belle composition musicale, fort hellénique, d’Alexandre Desplat, qui escorte pertinemment le récit de sa présence fonctionnelle alternativement spectaculaire ou discrète.
L’un des meilleurs films de Costa-Gavras, peut-être le meilleur.

Source : Bande à part