1917

La reconstitution historique de la Première Guerre mondiale trouve une nouvelle dynamique, grâce à ce drame tourné en plan-séquence par un Sam Mendes plus inspiré que jamais, qui propose une expérience à la fois immersive et intimiste. Un très grand film, qui devrait devenir une référence dans la filmothèque du premier conflit mondial.

Tourner un film entièrement en plan-séquence ? Les cinéastes du monde entier en ont rêvé, les Allemands l’ont fait ! En 2015, le film dramatique allemand Victoria, coécrit et réalisé par Sebastian Schipper, a remporté l’Ours d’argent de la meilleure contribution artistique lors de la Berlinale, le Festival international du film de Berlin. Le film a en effet été tourné en un seul plan-séquence de plus de deux heures ; une véritable prouesse pour les acteurs, mais également pour toute l’équipe technique, nécessitant plusieurs mois de répétitions et une concentration extrême, afin de reproduire une expérience qui, sur grand écran comme ailleurs, n’est encore qu’une illusion. Car ce qui est proposé au spectateur n’est pas encore représentatif de ce qu’ont vécu des comédiens, notamment ceux de 1917, qui tournent des scènes longues, montées ensuite ensemble, en postproduction.
Certes, en 2015, le plan-séquence n’était déjà plus une pratique récente, et encore moins révolutionnaire. Mais utilisée fréquemment pour une scène ou pour un plan fixe, cette technique n’avait encore jamais été employée sur un film entier. Apparu dans les années 1920, le plan-séquence revient à la mode ces dernières années, aussi bien au cinéma qu’à la télévision, au point que le spectateur attentif pourra se sentir agacé de voir une technique se développer, parfois au détriment d’un scénario prévisible ou déjà-vu. En ayant accès à tout, le spectateur d’aujourd’hui ne peut que se montrer critique face à des techniques comme le plan-séquence ou la 3D, qui servent parfois à combler les faiblesses du fond par la forme, tout en n’étant en aucun cas une plus-value pour un film, à propos duquel ce genre de technique est souvent qualifiée d’inutile.

Aussi, les premières minutes de 1917 laisseront sans aucun doute le public perplexe. Est-ce encore l’un de ces films où l’égo du réalisateur s’exprime, au détriment du scénario et d’une mise en scène qui servirait mieux le sujet ? Fort heureusement, le réalisateur britannique Sam Mendes est bien au-dessus de ces pratiques. Car ce qu’il propose est une véritable expérience cinématographique, à la fois immersive, intense et intime ; le fruit d’une réflexion et d’une intention réelle d’exposer la guerre d’une autre façon, afin de mieux la vivre, et donc de mieux la comprendre. Conscient que la Première Guerre mondiale a certes été maintes fois relatée, exposée, aussi bien dans des livres, des séries ou des films, Sam Mendes exprime ici sa volonté d’expliquer le destin des Poilus à une génération qui peut éprouver des difficultés à se rendre compte de la dureté et de l’importance d’un conflit, dont le dernier ancien combattant est décédé en 2008.
1917 suit donc deux simples soldats, dont la mission résume toutes les horreurs auxquelles les Poilus ont été confrontés. Des ennemis partout, des hauts gradés belliqueux, des tranchées infestées de rats, la faim, l’humidité, le froid… Les deux protagonistes principaux, décidés à participer au conflit sans faillir, mais en restant à leur place, vont devoir obéir et passer en territoire ennemi, afin de délivrer un message vital et ainsi sauver 1600 soldats d’une mort certaine. Alors que le piège risque de se refermer sur cet escadron, le duo se lance dans une course effrénée contre le temps.
Parce que la caméra ne les lâche jamais, les suivant tout au long de leur dangereux périple, le spectateur pourra comprendre, minute par minute, tout l’intérêt du choix de Sam Mendes : s’il est vrai que les horreurs de la guerre ne s’arrêtent jamais, alors la caméra ne le doit pas davantage.

Sam Mendes n’est pas le premier réalisateur à comprendre que le plan-séquence se marie particulièrement bien aux films de guerre. En 2008, Joe Wright avait choisi cette technique pour illustrer la bataille de Dunkerque, l’évacuation délicate de l’armée britannique en juin 1940, dans son film Reviens-moi. Le plan-séquence permet d’exprimer dans la durée la réalité d’une guerre que les soldats qui l’ont vécue ont eu bien du mal à raconter, tant les horreurs vécues sont indescriptibles. Le cinéma témoigne de la réalité d’un conflit qui ne permettait pas aux belligérants de relâcher la garde ; tout comme la caméra qui ne peut se permettre de manquer une seule seconde d’une aventure palpitante, où le sang, les larmes et la sueur deviennent presque palpables.
Entouré de spécialistes militaires pour les costumes, les décors et la préparation des acteurs, le réalisateur s’amuse donc à reproduire une technique qu’il avait déjà appréhendée avec brio dans la scène d’ouverture de Spectre.
En poussant de toute évidence son équipe dans ses retranchements, il en tire le meilleur. Difficile en effet de reconnaître le jeune roi Tommen de la série Game of Thrones dans la figure du soldat investi interprété par Dean-Charles Chapman. De même, et alors que sa filmographie reste assez confidentielle, George MacKay livre une performance remarquable et habitée. Injustement oublié dans la course aux Golden Globes qui a récompensé 1917 et son réalisateur lors de la cérémonie du 5 janvier 2020, l’acteur porte le film sur ses épaules et méritait, à défaut d’une statue ou d’une récompense, au moins une statuette.

1917, par ses choix de mise en scène, montre toute la fatigue et la peur ressenties par des hommes que la guerre pousse à se surpasser sans cesse pour rester en vie. Un film indispensable, dont le montage sert le scénario et rend plus puissant encore un message de paix universel, par l’absurdité des situations terribles dans lesquelles se retrouvent des hommes terrifiés. Antimilitariste par ce qu’il montre sans porter pour autant la lourdeur d’un message qui desservirait le propos, le long-métrage devrait faire date et permettre de mettre enfin la lumière sur les morceaux de bravoure, les petits actes héroïques et fraternels que les Poilus ont multipliés, sans jamais en être récompensés.
Aux grands hommes, le cinéma enfin reconnaissant.