Scandale est un coup de tonnerre qui dénonce, sans détour, la violence du harcèlement sexuel dans l’univers de la télévision. Un film assourdissant de vérité, qui résonne étrangement avec l’actualité judiciaire du moment.
L’image est percutante. Celle d’un homme vieillissant, gras, qui sort de sa voiture soutenu par un déambulateur. Tout de suite, le souvenir d”un certain Harvey Weinstein, se présentant comme un vieillard malade au tribunal, traverse les consciences. On reconnaît le pouvoir, la main de fer, la toute-puissance qui ont conduit nombre de femmes à céder à ses avances sexuelles. Roger Ailes a régné sur Fox News pendant 20 ans, pratiquant sans vergogne le chantage au salaire ou au licenciement, quand ses jeunes et belles animatrices de télévision refusaient de se donner à lui. Le sentiment de justice s’arrête, quand on sait qu’il a bénéficié de près de 40 millions de dollars pour quitter la chaîne de télévision, en pleine campagne de Donald Trump qui, en l’occurrence, ne fait pas figure de sainteté en la matière.
Scandale est un film assez complexe qui montre, avec une particulière efficacité, la façon dont les pervers sexuels ou narcissiques parviennent à faire trembler toute une entreprise et à manipuler nombre de victimes. L’emprise qu’Ailes a sur ses jeunes journalistes est absolument édifiante. John Lithgow qui l’interprète n’exagère jamais les traits. La perversité se lit dans sa façon de s’écrouler dans son fauteuil, de surgir en pleine émission et de terroriser tout le monde, et surtout de faire en sorte que la seule façon pour les salariés de gagner en responsabilités ou de garder leur poste, soit de se taire ou d’accepter ses agressions sexuelles. Le film ne dit pas s’il sera condamné par la justice. Il décrit avec précision la difficulté qu’ont les gens à soutenir la première plaignante, alors que tout le monde sait la vérité de ses agissements. La mécanique du harcèlement au travail est très bien fictionnalisée, mettant dos à dos les victimes qui culpabilisent, les coupables ou les complices des agressions, et la grande masse des gens qui se taisent et cautionnent.
La qualité du film se situe dans le choix que le réalisateur privilégie, celui-ci s’entourant de trois comédiennes d’une incroyable beauté : Nicole Kidman, Margot Robbie et Charlize Theron. Elles sont si belles, si à l’aise dans leur corps et leurs vêtements des plus sexy, qu’on ne cesse de se demander si elles n’ont pas été victimes elles-mêmes des agissements macabres de Weinstein. Le metteur en scène peut même habilement instiller le doute chez le spectateur : les trois femmes n’abusent-elles pas de leur plastique pour avancer en carrière ? Mais le débat s’arrête immédiatement quand on comprend que la dictature du désir masculin oblige les salariées à ne porter que des robes courtes, ou à effacer leurs attirances homosexuelles. En tous les cas, le fait de poser le débat grandit le film, au sens où il ne le réduit pas à un manichéisme facile. On perçoit au bout de ces deux heures la puissance de la manipulation perverse et l’impossibilité pour quiconque à faire justice, sauf quand il s’agit d’une Gretchen Carlson, habituée à faire trembler les hommes politiques et capable de tenir tête à Trump lui-même.
Scandale décrit une Amérique complexe. Le spectateur mesure que le libéralisme à tout cran d’un Trump est loin de faire l’unanimité. Les questions sociales agitent pleinement les débats, mais le pays semble incapable de sortir de tensions insupportables, comme le port d’armes ou le mensonge d’État. Jay Roach fait le portrait d’une Amérique de la contradiction, capable du pire et du meilleur. Il montre à quel point la victoire de Trump était une évidence pour tout le monde, mais qu’elle ne pouvait pas s’exprimer franchement. Le film va au-delà de la grave question du harcèlement sexuel. Il pose l’enjeu plus général d’une société qui cherche ses repères, entre la volonté de s’afficher comme la gardienne du monde, et celle de faire valoir ses valeurs fondatrices d’humanisme religieux. On échappe au film judiciaire. Le souci du réalisateur est de décrire le mécanisme qui empêche les victimes de parler et perpétue ainsi la terreur et le silence dans les organisations.
En tout cas, preuve est faite que les agissements de gens comme Weinstein ou Ailes n’ont plus de raison de se poursuivre indéfiniment dans le temps. Scandale réveille les consciences. Le film donne la part belle à des femmes entières, charismatiques, puissantes, qui font de leur vie un combat pour un droit à l’émancipation et à être considérée pour ce qu’elles sont. Le film est chargé d’une énergie qui emporte le spectateur du début à la fin. Chacun ou chacune surtout se retrouvera dans cette histoire, qui, comme le rappelle l’introduction, est fondée sur des faits tristement réels, avec des personnages fictifs, que le scénario a dû inventer au service de la cohérence générale du film. Sans doute une manière habile pour le réalisateur d’éviter un procès.
Source : Avoir-Alire.com