Les quelques maladresses du scénario ne font pas d’ombre à un film dense et ultra-stylisé en forme de réécriture afro-américaine du mythe de Bonnie and Clyde.
Résumé : en Ohio à la suite d’un rendez-vous amoureux, deux jeunes afroaméricains qui se rencontrent pour la première fois, sont arrêtés pour une infraction mineure au Code de la route. La situation dégénère, de manière aussi soudaine que tragiquement banale, quand le jeune homme abat en position de légitime défense le policier blanc qui les a arrêtés. Sur la route, ces deux fugitifs malgré eux vont apprendre à se découvrir l’un l’autre dans des circonstances si extrêmes et désespérées que va naître un amour sincère et puissant révélant le coeur de l’humanité qu’ils partagent et qui va changer le reste de leurs vies.
Il y a eu les emblématiques Bonnie and Clyde. Plus tard, c’est au tour de Lynch de s’attaquer au récit de deux fugitifs, à travers les figures excessives et baroques de Sailor et Lula. Queen and Slim est en quelque sorte la fusion des deux films. Les deux antihéros, l’une avocate brillante, lui, jeune homme des plus banals, se retrouvent mêlés à l’assassinat d’un policier, du moins à sa tuerie pour ce qui pourrait être une légitime défense. Sauf qu’ils sont noirs tous les deux, que l’histoire se passe en Ohio, et que la discrimination raciale règne en maître dans cette région des Etats-Unis. Ils se résolvent à s’enfuir, étant persuadés que le fait de se livrer aux autorités policières et de clamer leur vérité, les contraindrait à un système particulièrement injuste, qui les conduirait à la condamnation à mort.
Melina Matsoukas, dont c’est le premier long-métrage, revisite le mythe cinématographique de Bonnie and Clyde, dans une version moderne, très branchée, où elle prend le point de vue de la communauté afro-américaine. La réalisatrice a l’occasion dans ce film de dénoncer la brutalité du système judiciaire et policier de l’Etat d’Ohio, où la peine de mort demeure encore la condamnation suprême. Elle hisse ce duo sincère et attachant au statut d’emblème pour toute la communauté noire, qui se révolte contre la discrimination et les violences policières commises contre elle. D’ailleurs, sans la complicité d’autres personnes noires, ils ne pourraient poursuivre leur fuite en avant, à l’exception d’un couple blanc, dont le mari a vécu le traumatisme de la guerre d’Irak. Queen and Slim constitue en ce sens une fable politique qui tente de réhabiliter les communautés noires comme des citoyens et des justiciables comme les autres. En regardant le film, on ne peut s’empêcher de penser aux récentes révoltes populaires contre une police soutenue par le gouvernement de Trump, en dépit des attitudes ou des agressions particulièrement racistes qui lui ont été reprochées.
Queen and Slim, c’est d’abord ce couple presque légendaire ; incarné par deux comédiens absolument magnifiques, Daniel Kaluuya et Jodie Turner-Smith. Cette dernière illumine totalement l’écran. Elle rend compte de la complexité de son personnage, passant de la juriste intellectuelle et posée à la femme fatale, langoureuse et mystérieuse. La caméra saisit la beauté magnétique de la jeune femme, au milieu de paysages superbes comme écho à l’ivresse de la sensualité qu’elle dégage. L’occasion est toute trouvée pour mettre en scène la beauté des Etats-Unis avec ses routes interminables, ses campagnes verdoyantes, ses montagnes rutilantes et ses marais. Le film est à la fois un voyage dans la géographie américaine et dans la psychologie des deux personnages. Le couple alterne raison et folie, sans doute par immaturité. Le sentiment de discrimination est profondément ancré dans leur personnalité et la fuite vers un ailleurs guère identifiable semble la seule issue à la stigmatisation dont leur communauté noire est victime.
Il est impossible de clore cet article sans saluer la bande-son du film. Elle donne au récit une tonalité hip-hop incroyable, qui accentue le caractère romantique de leur fuite. Certes, le scénario est émaillé de nombreuses invraisemblances à la limite du risible ; certes le propos aurait mérité quelques coupes et les dialogues sont parfois trop longs, mais l’ensemble brille d’une poésie et d’un rythme rares pour une première œuvre de cinéma. La mise en scène maîtrisée laisse supposer que Melina Matsoukas, connue pour ses nombreux clips, devrait occuper une place de choix dans le cinéma américain.
Source : Avoir-Alire.com