Une entreprise sacrifiée, des salariés virés pour faute de profits ou de rentabilité à destination d’actionnaires impitoyables, de faux espoirs entretenus par les politiques et les dirigeants, la rage puis l’abattement, le chômage, c’est le quotidien de beaucoup de victimes d’un système à bout de souffle. Notre part des ténèbres est la revanche des petits, des faibles, des méprisés qui vont, cette fois, oser mordre. Eric Liberge (Le Suaire) au dessin et Gérard Mordillat, qui a adapté son propre roman, ont mis en scène une révolte atypique, grand format, qui est possible sur le fond mais aussi sur la forme. Du spectacle aussi pour un thriller social qui vise juste et fort.
Mondial Laser est au bout du rouleau. L’entreprise est vendue à un industriel indien au mieux des intérêts des actionnaires. Les salariés occupent l’usine mais des commandos envoyés par les patrons les attaquent. Le feu dévaste le site. Le 31 décembre, les dirigeants, actionnaires sont invités pour le réveillon à bord du Nausicaa, un paquebot de luxe. Amarres largués, tous se préparent à la fête sou la houlette du patron en chef, Edward Cawlpepper Jr. patron d’un fond de pension sans pitié. C’est lui qui a vendu Mondial Laser. Avec lui le ministre de l’intérieur français déguisé en capitaine Crochet car la soirée est un bal masqué. D’un seul coup toutes les liaisons TV sautent. Sur la passerelle, l’organisateur de la soirée engueule le commandant qui, en réalité, est un ancien employé de Mondial Laser. A tous les postes clés, ils ont pris le commandement du paquebot.
La suite c’est à la fois une prise d’otages à grande échelle, et des otages de poids, mais aussi la défense par la force de la dignité de gens qui n’ont plus rien à perdre. Cap au Nord, vers ce qui pourrait bien être une destination suicide alors que le gouvernement va tout mettre en ordre pour une intervention musclée. Un Jacquouille la fripouille, un Obélix viticulteur de luxe, un échantillonnage bien connu de patrons si on regarde avec attention le dessin, et puis tous ceux qui ont décidé de se révolter. Tous volontaires, la suite mérite d’être vécue, et lue bien sûr. On frissonne en ce disant que le désespoir est là, près de nous, qu’on ferme les yeux.
Mordillat décortique le process, comment on en arrive là, par mépris bien pensant et soif d’argent. Le personnage du commandant chef d’opération est remarquable. La tension a été aussi rarement palpable dans un ouvrage de la sorte. La dramaturgie est en place. Comment cela finira ? On connait les engagements de Gérard Mordillat en politique. Il a aussi travaillé avec Liberge sur le Suaire. On avait beaucoup aimé Fucking Fernand. Un album militant mais authentique.